Perspectives et enjeux actuels de la diversité ethnoculturelle en entreprise
27 mars 2023La fermeture du Chemin Roxham, qui a vu l'arrivée de milliers de demandeurs d'asile au Canada, a eu un impact significatif sur la politique d'immigration et l'importance de la diversité ethnoculturelle dans les organisations et les milieux de travail. En effet, la complexification des flux migratoires et l'augmentation des résidents à statut précaire ont créé des défis pour les employeurs qui doivent gérer l'incertitude et le stress administratif. Dans ce contexte, l'équité, la diversité et l'inclusion (EDI) sont devenues des sujets de plus en plus importants pour les organisations qui cherchent à créer des milieux de travail inclusifs et accueillants.
Souleymane Guissé, chargé de projet à la formation et responsable des dossiers d'équité, de diversité et d'inclusion, aborde dans ce texte les perspectives et les enjeux actuels de la diversité ethnoculturelle en entreprise, dans un contexte de mouvements sociaux et de débats sur la diversité et l'immigration.
Bonne lecture
Mouvements sociaux
Ces dernières années, on a noté l’émergence ou bien le retour en force des initiatives et des programmes en ÉDI (équité, diversité et inclusion) dans un contexte social bouillonnant et tendu avec des débats sur le racisme systémique, le mouvement Mee Too ou encore les pensionnats autochtones. Au même moment, des enjeux et des politiques liés à l’immigration et à la gestion des flux migratoires ont beaucoup polarisé. Dans quel contexte peut-on situer l’ÉDI, qui est en vogue aujourd’hui ? Au vu des mouvements sociaux et des débats sur la diversité et l’immigration, quels sont les enjeux et les perspectives de la diversité ethnoculturelle à considérer en ce moment dans les organisations et les milieux de travail ?
Le grand virage de l’immigration et la complexification de flux migratoires
Traditionnellement, les politiques d’immigration et d’intégration de nouveaux arrivants au Québec et au Canada étaient bien planifiées et structurées. Ainsi, y avait-il un certain continuum ou processus dans le parcours migratoire des individus. La vision était que l’immigration permanente est la voie parfaite pour une meilleure inclusion qui mène au sentiment d’appartenance et à la citoyenneté. Cette politique d’immigration et sa vision faisaient même rêver les pays d’Europe aux prises avec des flux migratoires complexes et incontrôlables. Cependant, les choses ont commencé à changer à partir de l’année 2015. En effet, à partir de cette année, on a remarqué le début de ce qu’on peut appeler le grand virage de l’immigration québécoise avec le nombre d’immigrants temporaires qui monte en flèche. Entre 2015 et 2022, les immigrants temporaires ont triplé, passant de près 100 000 à 300 000 aujourd’hui. Pendant ce temps, le nombre de résidents permanents stagnait autour de 50 000.
Il importe de souligner que les immigrants temporaires ne forment pas une entité homogène. En effet, il existe une diversité de sous-catégories de résidents temporaires : les travailleurs étrangers temporaires, les étudiants internationaux, les PVTistes, ou encore les demandeurs d’asile. Toutefois, ces résidents temporaires partagent un point commun : une date d’expiration de leur droit de résidence sur le territoire québécois, donc canadien. Si ailleurs au Canada, il est possible de passer du statut de résident temporaire au statut de résident permanent, au Québec les voies d’accès à la résidence permanente semblent plus compliquées. Par exemple, il est pratiquement impossible pour un travailleur étranger temporaire qui a un employeur unique d’acquérir le statut tant rêvé de résident permanent. Même après plus d’une décennie d’aller et retour dans La Belle Province.
À ce grand virage de l’immigration, s’ajoute une complexification des flux migratoires avec le fameux chemin Roxham depuis l’année 2017 à la suite de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et son discours anti-immigration. Alors qu’au même moment, le Canada, à travers son premier ministre, adoptait une posture d’ouverture. Cette désintégration des flux migratoires va entrainer une explosion des personnes sans statut et des demandeurs d’asile au Québec et au Canada.
Ce grand virage de l’immigration, qui est en réalité un changement de paradigme, et la complexification des flux migratoires ont pour principale conséquence l’augmentation des personnes à statuts précaires. On estime aujourd’hui que les résidents non permanents représentent plus de 3% de la population québécoise. Quel est l’effet de ces deux évolutions dans les organisations et les milieux de travail ?
Incertitude et taux de roulement
Si les personnes à statut précaire occupent presque toutes des emplois, leur statut d’immigration est, en revanche, source d’incertitude pour les employeurs qui les engagent, car ces derniers ne peuvent pas se projeter sur le long terme avec des employés dont les durées de séjour au pays sont limitées. Également, les démarches administratives peuvent causer du stress pour les travailleurs sans compter la gestion des rendez-vous avec les services d’immigration qui ont souvent lieu lors des heures de travail. Mais l’une des conséquences les plus sérieuses est l’impact sur les taux de roulement du personnel, surtout dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre.
Équité, diversité et inclusion et interculturalisme québécois
Parallèlement à ces enjeux de gestion des flux migratoires et des politiques et d’accueil de nouveaux arrivants avec un statut temporaire ou précaire, on a noté ces dernières années une émergence des programmes d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI) en entreprise. Les politiques et programmes d’ÉDI ont lieu dans un contexte social tendu avec des débats et des mouvements sociaux tels que Mee Too, les pensionnats autochtones ou le BlackLives Matter. Ces mouvements sociaux ont en commun une demande, voire une exigence, de passer du discours aux actes aussi bien dans les entreprises que dans les organismes publics en ce qui a trait à la reconnaissance et au bien-être des minorités et groupes sociaux vulnérables (Premières Nations, personnes immigrantes et/ou racisées, LGBTQ2+, personnes handicapées, femmes, etc.). Ainsi, beaucoup d’organisations se sont engagées dans un virage inclusif. Les années à venir nous édifierons sur l’impact réel des différentes initiatives en EDI lancées ça et là.
Dans l’immédiat, nous pouvons affirmer que si l’approche ÉDI peut sembler nouvelle, l’aménagement de la diversité en entreprise n’est pas nouveau. Et, au Québec, l’approche interculturelle est mise de l’avant depuis au moins trente ans. Dès lors, on peut se poser la question du lien et de l’arrimage entre l’approche ÉDI et l’approche interculturelle. À mon avis, même si les deux approches ont des spécificités qui leur sont propres, elles partagent plus de choses en commun. Et, pour réussir leur virage inclusif, les organisations doivent à la fois s’appuyer sur les préceptes de l’interculturel et sur les pratiques de l'ÉDI.
En d’autres termes, l’EDI est plus que complémentaire à l’interculturalisme québécois : elle est son côté droit. Encore faudrait-il que les politiques formalisent, pour plus de clarté et de lisibilité, le modèle québécois d’aménagement de la diversité. Enfin !
Auteur : Souleymane Guissé, chargé de projet à la formation et responsable des dossiers ÉDI